Avec Esther

Ayant obtenu le droit de sortir du bâtiment (accompagné, bien sûr...) pour un comportement correct, voir bon - ou plutôt parce qu'il restait discret et ne s'était pas encore fait prendre, Stéphane se retrouva au parc de la ville non loin, avec Esther - et un pion qui restait à distance respectueuse.

Il marchait lentement, découvrant un parc teinté de fleurs disposées en carré, d'herbe tondue et d'arbres gentillets, bien propret, et somme toute assez ennuyeux. Ce jadrin d'agrément ne semblait pas naturel, et semblait plutôt une prison à végétaux où l'on les martyrisait pour satisfaire les exigences de l'arrangement floral moderne... Non, vraiment, ce parc n'était pas beau, malgré les efforts fait pour.

Mais Stéphane avait d'autres choses à s'intérresser. Il était en compagnie d'Esther, à qui il vuait une admration profonde, et une loyauté sans failles tant qu'elle ne le trahirait pas. C'est qu'Esther était la première personne à connaître la malédiction qui le hantait, et qui n'avait en rien altéré son jugement envers Stéphane en sachant cela.

Il restait silencieux, ne sachant vraiment que raconter - n'ayant rien de nouveau à annoncer, sa vie étant désespérement morne, ni aucune demande à formuler. Il aimait juste être avec quelqu'un ui le connaissait, un peu, et l'appréciait quand même.

Finalement, il se résolut à tenter d'engager une discussion: "Euh ...ca fait longtemps qu'on s'est pas parlés ... quoi de neuf de ton côté?" C'était hideusement vide comme question, maisi n'était pas vraiment doué pour les conversations, ayant passé plus de temps à se battre et à se saouler qu'à parler...

Esther n'avait pas particulièrement sauté de joie quand on lui annonca qu'elle avait le droit de passer l'après midi dehors. En plus on était venu lui dire cela le matin...Et il était de notoriété publique que la jeune Anglaise detestait être dérangée le matin. Elle avait simplement acquiescé d'un signe de tête puis était partie se preparer.

Enfin se preparer était un bien grand mot pour Esther qui ne passait pas plus de dix minutes dans la salle de bain. Le temps de prendre sa douche quoi. Et c'est vetue comme à son habitude avec un jean trop large et un débardeur bleu nuit qu'elle se baladait dans ce parc, trop beau pour être naturel.

En faite, elle était assez contente d'être là puisqu'elle était en compagnie de Stéphane. C'était le seul dans ce pensionnat qu'elle considerait comme un ami malgrè les coups qu'il lui avait asséné. Mais bon, c'était du passé maintenant.

"Bah heuu rien...J'en ai marre d'être enfermée et surveillée en tout temps."

L'Anglaise se retourna et désigna le pion qui les suivait à distance. Ce crétin s'immaginait peut être que les pensionnaires ignoraient sa presence. Elle se pencha vers Stéphane et chuchota.

"Tu veut qu'on essaye de le semer ? Il m'enerve à nous suivre constamment."

"Comme moi" répondit-il, las, "mais en fin de compte, si la vie ici est d'un ennui mortel, au moins est-elle un peu plus agréable que celle d'avant..." Parce qu' au moins, je ne suis plus seul.

Stéphane regarda le surveillant d'un air dédaigneux."Ca sert à rien d'le semer, de toutes facons, on peut pas rentrer sans lui, et ils vont nous emmerder longtemps si on fait ca... enfin, si tu y tiens, on le fait."

Il s'était définitivement ramolli dans ce pensionnat; alors qu'avant, il aurait sans scrupules fui, ou, mieux, soigneusement cassé la gueule à cet abruti qui se traînait derrière eux, mainteant il le laissait à son sort, n'ayant même plus envie d'essayer de se libérer du joug d'une prison haïe.
Il pourrait fuir, bien sur, mais pour finir où? Tandis qu'ici, il y avait Esther.

Un silence.

"Tu sais..." commenca-t-il, avant de s'arrêter. "Non, laisse."

"Si on allait voir par là-bas?" se reprit-il en désignant un coin du parc qui avait l'air un peu plus sauvage que cette allée de fleurs étouffées; "Ca sera p'têt moins moche..."

Esther soupira. Elle qui s'immaginait que Stéphane aurait quelque chose à raconter...Même pas. Comme quoi ce pensionnat était d'un ennui profond. Elle balada son regard un peu partout sur le parc, il était vraiment trop moche avec toutes ces couleurs criardes qui se refletaient à cause du soleil, aggressant la vue.

Elle hocha lentement la tête alors que son camarade refusait de semer le pion. Il n'avait pas tord et en plus, Esther aurait mis sa main à couper que cet endroit était lui aussi cerclé de grilles matalliques.

Elle haussa un sourcil quand Stéphane commenca un phrase qu'il ne termina pas. Elle passa une main dans ses cheveux déliés et souffla un petit "Ok". Puis sans vraiement lui laisser le temps de repondre, l'Anglaise le prit par le poignet et l'entraina en courant vers l'endroit qu'il lui avait montré. Au moins, cela avait mis de la distance entre eux et leur geôlier. Esther se laissa tomber dans l'herbe et regarda le pion qui tentait de les retrouver.

"Je crois qu'on a un peu de temps devant nous avant que cet imbécile ne nous retrouve."

La jeune Anglaise mit sa main devant ses yeux pour se proteger de soleil et pour pouvoir regarder Stéphane qui était toujours debout.

"Ca faisait longtemps qu'on ne s'était pas vu. Ca me fait plaisir d'être là."

Elle ponctua sa phrase d'un sourire.

Stéphane suivit docilement Esther qui l'entraînait en courant vers l'endroit qu'il avait désigné, qui se révelait être un coin négligé, envahi de hautes herbes folles, à côté d'une plantation de grands arbres minces et sans feuilles ... Ce n'était pas génial mais mieux que le reste.

"Moi aussi, je suis content d'être ici" répondit,il un peu bancalement, en souriant en retour.
"Ca fait pas mal de temps que je ne vois plus beaucoup de monde, d'ailleurs, à cause de ma manie de vivre la nuit. Enfin, ce n'est peut-être pas plus mal..."

Il s'assit dans l'herbe, à coté de la jeune fille, la regardant toujours. Puis, au bout d'un moment, il s'allongea lui aussi dans l'herbe, regardant le ciel sans nuages, aveuglant tant il était clair.

"C'est quand même dommage que je ne sache que me battre et boire" fit-il; "c'était la quasi-totalité de mon existence avant mon emprisonnement, avec la survie de base... et du coup, je n'ai rien à faire du tout ici... "

Il se tut. Et regarda le ciel, sans rien faire, espérant qu'Esther saurait quoi dire... Il était véritablement inutile au final; il ne savait que se battre, et se saouler, et rien d'autre... même pas capable de tenir une discussion...

Esther s'amusait à cueillir des fleurs sauvages et ramassait les feuilles des chênes pour en faire un joli bouquet vert. Elle aimait bien cette couleur. La jeune Anglaise écoutait attentivement Stéphane. Elle se tourna vers lui, arretant un instant de cueillir ses fleurs.

"Tu sais...Quand j'étais gamine, je ne savais que réclamer et piquer des colères quand cela n'allait pas assez vite à mon goût. Puis, un beau jour, ma mère est partie sans laisser d'adresse et je suis devenue aggressive avec ceux qui m'entourait. Et pour finir, j'ai atteri içi. Ce pensionnat n'est certes pas agréable mais au moins, je suis moins aggressive."

Elle secoua la tête et regarda son camarade.

"Tout ça pour te dire que tu n'es pas un bon à rien et tu avais tes raisons. Eloigne toi des cuisines et de ses bouteilles d'alcool un petit moment et ca va s'arranger."

L'Anglaise le gratifia d'un joli sourire et lui montra le bouquet de feuilles et de fleurs.

"Regarde, elle est belle cette couleur hein ? "

Esther se mit alors à rougir. Elle se sentait stupide à tendre son bouquet devant la figure du jeune homme.

"Et arrete de te tourmenter avec ça ! Il fait beau, les oiseaux chantent et en plus on a reussi à se débarrasser du pion !"

Ajouta alors subitement la jeune fille pour cacher sa gêne. Esther continua ensuite à embellir son frêle bouquet de toutes les fleurs et feuilles qui se trouvaient autour d'elle.

"Oui, l'est joli ton bouquet..." murmura-t-il, aussi gêné qu'elle.

"T'as peut-être raison... Mais ca fait plusieurs semaines déjà que je suis ici, et je n'ai pas tellement changé..." répondit-il, ne se souciant pas de savoir si elle l'écoutait ou pas, et tentant de faire le point sur lui-même. Il en avait assez de fuir, mais il ne pouvait pas combattre. Il en avait assez de se battre, de s'enliser dans d'éternels combats qui ne menaient à rien et qu'il fallait recommencer chaque matin. Pour sauver un semblant de prestige envers le reste du monde...

"Et puis... et puis, qu'est-ce que je pourrais faire de toutes facons? Je n'ai aucune envie de vivre comme on voudrait me forcer à vivre, mais en même temps j'en ai marre de la vie de mercenaire dans la rue..."

Toujours allongé, il étendit les bras et regarda les arbres effeuillés au-dessus de lui. Puis il s'assit, et regarda Esther recueillir ses petits bouts de fleurs et de feuilles désséchées.

"Et toi? Tu veux faire quelque chose plus tard?" demanda-t-il, rêveur. Le démon avait toujours du mal à concevoir ce que pouvait être une vie dite 'normale'. Ce n'était pas pour lui...

Esther lui fit un sourire quand Stéphane lui dit que son bouquet était joli. Son visage s'assombrit quand il lui demanda ce qu'elle voulait faire plus tard. Elle haussa vaguement les épaules tout en continuant à ramasser ses fleurs.

"Je n'en sais rien. J'aimerais bien repartir en Angleterre et y passer le reste de ma vie. Je voudrais aussi retrouver ma mère."

Elle resta un moment silencieuse. La jeune Anglaise ne se rapellait même plus à quoi elle ressemblait. Ca faisait si longtemps qu'elle était partie. Elle était peut être même morte et son père semblait s'en ficher. Esther le detestait. D'un geste de la main, elle s'essuya les yeux. Il ne l'avait jamais vue pleurer, c'est pas aujourd'hui que ca allait commencer. Et c'est souriante qu'elle se tourna vers Stéphane. Même si son sourire était forcé.

"Et toi ? Qu'est-ce que tu veut faire en sortant d'ici ?"

Pour cacher sa tristesse, Esther s'empressa de baisser la tête pour reprendre son ouvrage avec les fleurs et les feuilles.

Stéphane resta muet. Il ne savait pas, il ne pouvait pas envisager de pouvoir faire quelque chose. Un démon reste un démon; on ne peux pas faire quelque chose de correct lorsqu'on est paria, haï de tous, sans même être connu...

"Je ne sais pas..." finit-il par articuler.

"Et ben écoute... si tu veux, je veux bien t'aider à chercher ta mère, après..." C'était bien la moindre des choses. Il pouvait bien la remercier de toute facon possible.

Il resta assis, ne sachant vraiment que dire, ou que faire.

Puis il se leva, et s'approcha d'Esther. "Je peux t'aider?"

Esther se concentrais sur son bouquet pour éviter de se mettre à pleurer comme une madeleine. Une parole la fit relever la tête et elle fixa Stéphane.

"C'est vrai ? Tu viendrais en Angleterre avec moi ?"

D'accord, il pensais avoir une dette envers elle mais de là à la suivre en Angleterre. La jeune fille le regardait avec des yeux ronds puis un petit sourire naquit sur ses lèvres alors qu'elle rebaissait la tête.

'T'embete pas avec ça va...T'as déjà assez de problèmes, je ne veut pas t'embeter avec les miens."

Esther n'en dit pas plus, de toute facon le jeune homme savait bien de quoi elle parlait. Voila, son bouquet était fini. La jeune Anglaise fit la moue et le posa à côté d'elle. Elle rammenna ses genoux à son menton et les entoura de ses bras. Il faisait bon, Esther était contente d'être avec Stéphane mais elle n'avait plus le coeur à rire.

"Mais je veux bien te suivre en Angleterre tu sais... j'ai pas vraiment d'avenir, et si je peux t'aider, c'est tant mieux ... et puis j'ai pas tellement envie d'te voir partir..." répondit Stéphane, baissant graduellement la voix, assez gêné, et laissant mourir la fin.

Il finit par se taire, et s'assit à côté d'elle. Il avait quand même bien des choses à dire; mais il n'y arrivait pas. Enfin, tant pis... il finirait peut-être par formuler tout cela... mais il n'en était pas sur... Oh, et puis, Esther devait s'en ficher pas mal, en fin de compte.

Non, franchement, l'aider à retrouver sa mère, c'était bien la seule chose d'utile qu'il ferait dans son existence. Et c'était bien la seule chose qu'il saurait à peu près faire...

Stéphane s'allongea une nouvelle fois dans l'herbe, perdant son regard dans les cieux.

Esther releva la tête pour le regarder. Il disait donc vrai ? Il allait vraiment la suivre en Angleterre ? Un petit sourire reconnaissant naquit sur les lèvres de la jeune Anglaise. Et puis c'était vrai qu'elle aussi aurait du mal à partir si Stéphane restait là.

"Merci."

Murmura t-elle avant de s'allonger à son tour. La jeune fille était sur le côté, la tête appuyée sur sa main. Son autre main voyageait distraitement dans l'herbe et elle rencontra son petit bouquet. Esther avait mit tant de soin à le faire. Elle le prit dans sa main et regarda son camarade.

"Tiens. Je te l'offre."

Ses joues qui avaient peu à peu reprit leur habituel teint pâle rougirent de plus belle. Ce n'était pas tout les jours qu'on offrait un bouquet de fleurs à un garçon. Surtout des fleurs et feuilles séchées.
Esther le regardait avec un sourire quelque peu gêné, s'attendant à recevoir son bouquet en pleine figure.

Stéphane ne réagit pas tout de suite, et rougit. Puis, gêné, il prit le bouquet des mains d'Esther.
D'aussi loin qu'allaient ses souvenirs, c'était bien la première fois qu'on lui offrait un bouquet.
Ne sachant pas vraiment comment il devait réagir, il répondit simplement "Merci..."

Il ne bougea pas, toujours gêné, tenant le petit bouquet dans ses mains, ayant un peu l'air idiot ainsi. Puis, il détourna son regard, et regarda fixement le côté opposé à Esther, se sentant ridicule. Il ne savait pas quoi faire...



[Désolé c'est court, je ne savais pas quoi dire... ]

[Pas grave ^^]

Esther rougit de plus belle lorsque Stéphane lui prit le bouquet des mains. Elle qui s'attendait à se recevoir ses fleurs en pleine figure. Elle tourna la tête et un sourire gêné apparu sur ses lèvres. La jeune Anglaise pouvait être fière, elle venait de les mettre mal à l'aise tout les deux. Pour une fois qu'ils pouvaient passer un moment en dehors de ce foutu pensionnat, Esther venaot de tout gâcher à cause d'un malheureux bouquet de fleurs séchées.

"Non, c'est moi qui te remercie de bien vouloir m'accompagner en Angleterre."

La jaune fille baissa la tête et ne parla plus. De toute façon, tout ce qu'elle disait depuis un petit moment les mettaient mal à l'aise alors autant qu'elle se taise. Esther soupira et leva la tête, fixant le ciel.

Ne sachant pas tellement quoi faire, la voyant gênée et étant assez gêné par la situation lui aussi, Stéphane ne dit rien.

Il serra Esther dans ses bras.

Il était tellement heureux de pouvoir rester auprès d'elle! Elle était la première à tenter de le connaître sans se soucier de sa tare, à rester avec lui, à lui parler, malgré ce qu'il lui avait fait, malgré ce qu'il était... Et, il avait envie de rester avec elle. Ne serait-ce que pour la remercier de tout ce qu'elle avait fait. D'être là. Avec lui.


Puis, s'aperçevant de ce qu'il avait fait, qu'il la tenait dans ses bras, il se déroba soudainement, affreusement gêné de son acte, et s'en voulant beaucoup. Ne te fais pas d'illusions! Certes elle était une personne splendide, mais qui voudrait être avec un démon? Qui voudrait rester auprès de toi? Rien qu'à la toucher, il devait la dégouter.
N'oublie pas la malédiction. Elle est bien plus que les simples crises qui font peur aux gens.

Gêné, triste, honteux, Stéphane baissa la tête, et articula douloureusement:

"Je suis désolé... pardon..."



Puis, retenant ses larmes, il s'enfuit en courant, portant le poids de sa malédiction - et de sa honte. Puis, loin d'elle, s'affala sur un banc oublié, torturé par ses actes, ses souvenirs, sa tare.

Comment pouvait-on être aussi aveugle? Il était répugnant, il avait blessé de nombreuses personnes. Il n'a pas le droit de toucher quelqu'un, il ne devrait même pas exister.
C'était un Démon, après tout.

Esther n'osait pas le regarder. Elle était assez gênée de ce qu'elle avait dit et surtout du fait qu'elle lui avait offert le ridicule bouquet de fleurs. La jeune fille regardait fixement l'herbe qui dansait au grès du vent. Elle se mordait les lèvres, ni voulant plus rien dire de peur de plomber encore plus l'ambiance.

Comme elle ne regardait pas Stéphane, elle ne le vit pas bouger pour venir la prendre dans ses bras. L'Anglaise ouvrit des yeux ronds et n'eut pas le temps d'enserrer le jeune homme à son tour que celui ci s'enfuya à toutes jambes.

Elle resta un instant bouche bée à regarder la silhouette de Stéphane s'éloigner. Qu'est-ce qu'il lui prenait ? Esther secoua la tête et s'elanca à sa suite. Elle ne voulait pas qu'il disparaisse lui aussi. C'était son seul ami ici et elle tenait beaucoup, mais alors vraiment beaucoup, à lui.

Après une longue course effrénée, Esther le retrouva affalé sur un banc. Il avait les larmes aux yeux. Essoufflée, elle s'approcha de lui et se mit assise à ses côtés.

"Pourquoi t'es parti comme ça ? Qu'est-ce que tu as ?"

Esther tentait tant bien que mal de reprendre son souffle. Le banc était loin de tout et il n'y avait pratiquement personne dans ce coin. Elle baissa son regard sur Stéphane. La jeune Anglaise se demandait bien ce qui le mettait dans cet état et cela l'inquiètait. Oui, elle s'inquiètait beaucoup pour lui depuis qu'il lui avait revelé l'existance de sa maladie qu'il appelait sa "malediction".

Renfermé sur lui-même, assis sur le banc, Stéphane ne faisait pas attention à ce qui se passait autour de lui. Il avait probablement blessé Esther, l'avait pris dans ses bras alors qu'il était ... qu'il était... souillé...

Puis, il entendit sa voix. Il leva les yeux: elle était là, elle l'avait suivi jusqu'ici, elle était venue! Elle était si gentille envers lui!
Il se mit à pleurer silencieusement:

"Pardon ... pardon ... je voulais pas... je ne doit pas... désolé! Pardon!"

Il baissa la tête et ne regarda plus Esther, pleurant amèrement, honteux et triste.

Il s'en voulait, il s'en voulait de l'avoir prise, de l'avoir touchée, d'avoir osé. Il ne devait pas. Après tout, il était souillé par sa tare, par sa malédiction, et il devait rester éloigné des autres ...

Esther l'écouta s'excuser en le regardant dans les yeux. Elle ne comprenait pas très bien pourquoi il lui demandait pardon et elle était bien determinée à le savoir. Stéphane baissa alors les yeux et ne le regarda plus. La jeune Anglaise le fixait toujours.

"Pourquoi tu t'excuses ? Tu n'as rien fait de mal."

C'est alors qu'elle vit les larmes qui roulaient doucement sur les joues du jeune homme. Il pleurait maintenant. Mais qu'est-ce qu'il pouvait bien avoir ? Il ne semblait pas triste tout à l'heure pourtant. Soudainement, la jeune fille le prit dans ses bras et le serra contre elle. Une de ses mains passait dans les cheveux de Stéphane dans l'espoir de le calmer un peu.

"Pourquoi tu pleures ? Qu'est-ce qui te met dans cet état ? Explique moi."

Stéphane fut surpris par le geste d'Esther. Elle l'avait, à son tour, prise das ses bras. Peut-être était-ce simplement pour tenter de le consoler...
Il se calma, lentement, sécha ses larmes - il était déjà honteux de s'être montré ainsi. Il se dégagea gentiment de l'étreinte d'Esther, s'en voulant toujours -à mort- pour ce qu'il avait fait. Il était un démon, et un démon ne peux vivre comme s'il était un être humain.

Puis il tenta, vainement, d'expliquer sa fuite:
"C'est que ... je ne peux pas ... tu sais ... tu sais pourquoi..." Il laissa mourir la fin sur ses lèvres, ne voulant pas en parler, n'arrivant pas à en parler.

"Je n'aurais pas du... désolé..." Ils'écarta un peu plus d'elle, baissant les yeux, tentant de ne pas recommencer à pleurer. Faible qu'il était!

Esther soupira. Encore cette histoire de malédiction et de démon. Elle secoua la tête et le laissa s'éloigner d'elle sans broncher. Il baissa à nouveau la tête et la jeune Anglaise posa ses mains sur les épaules de son ami. Elle resta un instant dans cette position à le regarder avant de le secouer doucement pour lui faire relever la tête.

"Ecoute Stéphane..."

Elle marqua un temps d'arrêt. Pas parce qu'elle ne savait pas quoi dire mais plutot qu'elle ne savait pas par où commencer. Esther le fixa dans les yeux puis se jeta à l'eau.

"Ce n'est pas ça qui doit t'empecher de faire ce que tu as envie. Tu n'es pas un démon ou je ne sais plus trop quoi. Tu as compris ?"

Elle avait sensiblement baissé la voix pour ne pas que quelqu'un d'autre que Stéphane l'entende. L'Anglaise ramenna ses mains à elle et lui fit un sourire.

"Arrête de pleurer...Tu n'as pas à t'excuser, tu n'as rien fait de mal, je viens de te le dire."

S'étant plus ou moins calmé, il releva la tête vers elle. Puis il eut un sourire triste et beau, et répondit, si bas qu'on ne pouvait presque pas l'entendre: "Si tu le dis..." Il ne croyait pas à ce qu'elle lui disait.
Des années durant, presque dès sa naissance, il avait été craint, et lorsqu'il avait tenté de fuir cet univers qui le fuyait aussi, il s'attira la haine ans rien perdre de la peur qu'il inspirait. Des années où on l'avait montré du doigt sans le connaître, ou il avait dû cacher -supprimer- son identité pour survivre, en se cachant derrière celle du démon. Des années où il était devenu le Démon...

Toujours assis, mélancolique, il ne pleurait plus; il était toujours triste, mais s'était résigné... Il ne pourrait vivre comme tout les autres; et c'était déjà beaucoup de connaître Esther, beaucoup plus que ce qu'il pouvait espérer, beaucoup plus que ce dont il avait droit...

Il la regardait toujours, contemplant son visage. Un silence.
"Tu as peut-être raison, je n'ai rien fait... maintenant... mais avant? ..." acheva-t-il. Il se tut.

Stéphane regarda le ciel nuageux. C'était sans espoir. C'était déjà beaucoup qu'elle soit ici avec lui, alors qu'elle veuille rester ... non,impossible...

Esther croisa les jambes et le regarda alors que les yeux du jeune homme fixaient les nuages. La jeune fille posa son coude sur ses genoux et cala sa tête dans sa main. Elle garda un instant le sience avant de lever à son tour les yeux vers le ciel. L'Anglaise baissa la tête quand Stéphane lui parla d'"avant".

"Avant, avant...Mais c'est du passé tout ça ! Tu n'as que ce mot là à la bouche ! Y'en a marre à la fin !"

Furieuse, elle se releva et commença à faire les cents pas devant le banc où était assis Stéphane. Il fallait qu'elle se calme, elle n'arriverait à rien si elle se mettait en colère mais c'était plus fort qu'elle.

"Tu ne comprends pas que tu es en train de te pourrir la vie ? Comme si cette malédiction comme tu dit n'était pas suffisante ! Arrete de te renfermer comme une huître bon sang, ouvre les yeux ! Tu es loin de ces imbéciles maintenant !"

Les larmes lui montèrent aux yeux pour finalement couler lentement sur ses joues. Lasse, elle s'arreta de marcher et se laisse retomber sur le banc. Esther baissa la tête à son tour, ses épaules étaient agitées par les sanglots. Ca faisait longtemps qu'elle n'avait pas pleuré.

Stéphane l'écouta, bien que ce qu'elle lui dit ne changea rien à ce qu'il pensait. Il était démon non uniquement par sa faute, mais parce que les autres le désignaient ainsi. Il ne méritait pas plus; quel que soit son passé, quel que soit son futur, il resterait ainsi: a-t-on jamais entendu un docteur affirmant pouvoir guérir l'épilepsie? Non...

Mais Esther eut une réaction étrange: elle s'énervait de son état, puis elle se mit à pleurer. Comme si elle voulait supprimer son état? Comme si elle voulait qu'il vive malgré cela...

C"était de sa faute si elle pleurait, c'était parce qu'il était démon et qu'elle ne l'acceptait pas. Stéphane s'approcha d'elle, et, ne sachant pas quoi faire, se défendant de la toucher encore, murmura:
"Pardon ... pardon ... je peux faire quoi?"

Il était perdu, il ne savait pas quoi faire mais voulait l'aider... Il voulait la prendre dans ses bras pour la calmer, pour la consoler, mais il n'en avait pas le droit...
Puis, soudainement, se décidant enfin, violant ses interdits, il la prit dans ses bras. Il la tint, longuement, en murmurant, du mieux qu'il pouvait:
"Pardon ... pardon ... pardon de ce que je t'ais fait... pardon de t'avoir repris... je suis désolé, je m'excuse... ne pleure plus..." Il se tuerait pour elle, il se damnerait pour elle... mais jamais, jamais il ne pourrait supporter de la blesser, encore une fois...

Esther continuait à pleurer dans les bras du jeune homme. Ses mains se crispèrent et elle s'agrippa au vetement de celui ci. Elle n'essayait pas de se calmer, ça lui faisait du bien de verser des larmes. Comme ci tout ce qu'elle avait accumulé depuis la disparition de sa mère ressortait dans les gouttes salées qui coulaient sur ses joues.

Elle leva les yeux vers Stéphane quand celui ci lui demanda ce qu'il pouvait faire pour la consoler un peu. La jeune fille mit un certain temps avant de répondre.

"Je...je voudrais que tu cesses de...de penser que tu es un démon...Au moins aujourd'hui...Pour qu'on puisse passer...une...une bonne fin d'après midi..."

Balbutia Esther entre deux sanglots. Oh oui, elle aimerait tant qu'il profite de l'après midi sans se soucier de son état. Elle aimerait que son épilepsie lui sorte de l'esprit ne serait-ce qu'une heure. Une toute petite heure de répit, il la méritait bien.

Elle reposa sa tête sur l'épaule de Stéphane et elle se blottit contre lui. Ses sanglots commençèrent enfin à se calmer. Quelques petites larmes coulaient toujours sur ses joues humides. Esther esquissa un sourire lorsqu'il lui demanda pardon pour la énième fois.

"Arrête de t'excuser..."

D'autant plus que l'Anglaise ne voyait pas vraiment pourquoi il s'excusait. Il ne lui avait rien fait de mal et elle apprèciait qu'il la prenne dans ses bras.

Stéphane ne dit rien. Il continua de serrer Esther dans ses bras - il était d'accord pour jouer un rôle jusqu'à la fin de l'après-midi, d'acord pour 'oublier' sa tare un moment, pour elle.

Il resta silencieux, dans les bras d'Esther. Il en avait marre, au final, il était fatigué, et voulait se reposer un peu ... passer une après-midi agréable avec elle. Esther était la seule personne qui l'appréciait vraiment, et la seule qu'il appréciait aussi.

Elle se calmait, lentement, elle aussi. Elle continuait de pleurer, peut-être pour enfin évacuer tout le stress, toutes les frustrations depuis longtemps? Stéphane se rendit compte qu'il ne connaisait pas grand-chose d'elle, juste qu'elle était anglaise, qu'elle avait perdu sa mère et qu'elle voulait la retrouver...
Pas grave. Il finirait peu-être par la connaître un petit peu plus...