Nuit sombre et larmes amères

[Reservé ^^]

Aucun bruit dans le couloir sombre si ce n'est le resonnement sourd des pas précipités d'Esther. Elle courait. Vite. Aussi vite que ses jambes le lui permettait. Une fois qu'elle eut passé la porte du balcon, quelques minutes plus tôt, la jeune fille s'était élancée à vive allure pour être sûre que Stéphane ne la suive pas. C'était terminé. Ce qu'il lui avait dit ce soir était la goutte d'eau qui avait fait deborder le vase.

La porte du foyer des élèves s'ouvrit à la volée et l'anglaise entra dans la pièce. Celle ci était vide, froide. Seule Esther était là, plantée au milieu des fauteuils eventrés et des canapés aux couleurs passées, essouflée et decoiffée. Des larmes chaudes et salées roulaient en abondance sur ses joues que sa course avait rougies.

Lentement -ses jambes lui faisait mal- elle s'approcha de la fenêtre qui s'apparentait plus à une sorte de baie vitrée. Esther posa sa main sur la vitre glacée et se laissa tomber sur le sol. Allongée, elle extirpa un paquet de cigarette écrasé de sa poche. Elle en sortit une et l'alluma. Ses yeux humides de larmes regardaient les volutes de fumée grisâtre s'envoler.

Puis, aussi bizarre que cela puisse paraître, l'anglaise se mit à rire. Rire effrayant tant il était dépourvu de toute gaieté alors que ses larmes coulaient de plus belle. Pourquoi il lui avait dit ça ? Pourquoi ? Elle ne le saurait probablement jamais... Et n'était même pas sûre de vouloir le savoir.

[Désolé du retard !]

Noir.

Encore une fois ...

Encore une fois il était tombé sous les coups de sa malédiction, mais la période d’oubli – de mort – n’avait pas été aussi longue qu’espérée. Et ce à cause de la pluie. Il s’était fait réveiller par la pluie. La pluie ! Satanée pluie ! Pourquoi est-ce que tout se liguait contre lui ? Pourquoi est-ce que le monde entier s’amusait à raviver les souvenirs quand il ne voulait que les éteindre ? Pourquoi ? Même la pluie s’y était mise ...

Et, dans un état pitoyable, noyé par l’alcool, percé par le froid, proche de la mort, par sa propre faute, Stéphane se releva tant bien que mal, titubant, avançant dans la vague, ne sachant pas où il allait. Il avançait juste pour avançer.

Il était où là ?

Tout les couloirs ne menaient qu’à deux ou trois pièces de manière générale, de sorte que, en avancant sans réfléchir on avait de bonnes chances d’arriver dans ces pièces. La plus proche du toit était la salle nommée « le quartier des élèves ». C’était peut-être par là qu’il arrivait. On verrait bien.

Tant qu’il trouvait à boire, l’endroit importait peu. Après tout, il avait tout perdu, par sa faute, alors pourquoi continuer ? Pourquoi faire ? Pourquoi ... Peut-être même que la mort serait préférable.

Le Démon ouvrit la porte qui lui faisait face d’un violent coup de pied. Il ne savait pas où il était, il ne savait pas s’il y avait du monde dans la pièce, même si c’était probablement le cas vu l’odeur de fumée, il s’en fichait, il se fichait de tout, de lui, du monde entier. Même Esther !

(Non, pas Esther ... Il n’y arriverait pas ... )

Et, d’une voix rauque, se sachant repoussant – puant l’alcool, complêtement trempé, couvert de sa propre bave, de son urine, de tout cela qui participait aussi à ce qu’était sa malédiction – et sachant aussi qu’il ne tenait debout par miracle, et aussi par le fait qu’il gardait sa main appuyé contre le mur, Stéphane aboya une demande.

« Hé, la connasse qui s’est cachée ici, je sais pas qui t’es mais je sais qu’t’es là ! Est-ce que t’as à boire ? » Ridicule. Il était ridicule. Mais ca n’avait pas d’importance. L’alcool, l’oubli, était tout ce qui importait maintenant.

Esther regardait la pluie frapper contre les vitres sans la regarder vraiment. Elle avait les yeux rivés sur l'horizon. Loin... La bas. Elle aimerait tellement y retourner, la bas. Elle aimerait tellement n'avoir jamais mis les pieds dans ce foutu pensionnat.

Sa cigarette lui brûla les doigts. Machinalement, elle l'écrasa sur le sol cramant la moquette déjà en mauvais état. Son front retomba lourdement contre la vitre. Elle s'en fichait, elle passerait la nuit içi, recroquevillée dans son coin. Esther n'avait aucune envie de remonter dans sa chambre, elle ne supporterait surement pas les piaillements de ses colocataires.

La porte s'ouvrit lourdement, claquant contre le mur. Un odeur âcre d'alcool lui monta au nez. Elle tourna la tête et, à travers ses larmes et l'obscurité, elle parvint à distinguer la silhouette un peu titubante de Stéphane. Peut être venait il lui présenter ses excuses ?

Connasse... Le sourire qu'elle avait commencé à arborer disparu instentanément. Après lui avoir dit de dégager, il l'insultait ? Non mais pour qui il se prenait ? Elle se leva, s'approcha de lui et lui flanqua une baffe mémorable. Elle l'avait frappé si fort qu'elle s'était fait mal à la main. Elle ne pensait pas qu'ils devraient en arriver là.

"Je te deteste ! Tu entends ? Je te deteste !"

Esther le fixait durement, les yeux noyés par les larmes. Mais elle ne pensais pas un mot de ce qu'elle venait de dire. Faire la connaissance de Stéphane était la seule chose positive qu'il lui soit arrivé dans ce pensionnat. Et là, elle lui disait qu'elle le detestait alors qu'elle envie de lui dire qu'il comptait beaucoup pour elle. Mais le jeune homme était probablement trop ivre pour pouvoir faire la difference, peut-être ne se rendrait il même pas compte que c'était Esther qui venait de le giffler.

Pour toute réponse Stéphane s’était pris une violente claque.

En temps normal, même gris, il n’y aurait même pas fait attention et il aurait tout de suite riposté. Après tout, c’était normal, il n’était qu’un Démon, il était sale, il puait l’alcool et sortait d’une crise, il faisait peur à voir, et tout ce qu’il savait faire c’était détruire ... Après tout, c’était normal qu’on le haïssait et qu’on le frappait.

Mais là, il avait reconnu la voix d’Esther.

Et, tout en s’effondrant lamentablement par terre – il tenait à peine debout – il la voyait pleurer, par sa faute. Pourquoi ? Pourquoi l’avait-il connu ? Il savait qu’elle souffrirait de rester auprès d’un démon pourtant ... et il n’était pas arrivé à la faire fuir, il n’arrivait pas à l’oublier, il le fallait pourtant, il fallait qu’elle l’oublie, parce que tout ce qu’il pourrait faire c’est lui faire mal ... Et maintenant, elle allait mal, par sa faute.

Et, restant au sol, Stéphane ne bougea pas, tentant vainement de se retenir de pleurer, ne voulant plus la voir, ne voulant plus rien voir, ne voulant plus vivre. C’était ce qu’il y avait de mieux. Il allait mourir, pour elle, pour tous, un démon de moins ... Deux larmes coulèrent silencieusement de ses yeux rouges, l’alcool l’affaiblissait peut-être, il n’arrivait pas à haïr Esther, il n’arrivait pas à oublier Esther.

Il ne dit plus rien, fermant les yeux, pleurant, sans bruit.

Il fallait qu’elle l’oublie pourtant ...
Il fallait qu’il finisse ce qu’il avait commencé, maintenant, il fallait qu’il la fasse fuir Maintenant. Ou ce serait encore un échec. Il fallait qu’il meure. Parce qu’il n’arriverait pas à en faire plus ...

Monstre qu’il était !

Pathétique. Il était vraiment pathétique. Mais Esther n'arrivait pas à l'oublier, à tirer purement et simplement un trait sur les quelques mois qu'elle avait vécu avec lui. Elle n'en était pas capable. C'était juste que les évenements de la soirée avaient fait déborder le vase, elle n'en pouvait plus de cette situation. Il fallait qu'ils s'expliquent. Et ils le feraient ! Même si Stéphane n'était plus en état d'aligner trois mois.

L'anglaise était débout en face de lui, stoïque. Elle le fixait durement. Elle se fichait pas mal qu'il soit ivre mort, qu'il soit trempé et qu'il pleure. Il l'avait faite pleurer des dizaines de fois, c'était à son tour maintenant.

Elle laissa passer un long, long moment de silence. Elle se contentait de le regarder dans l'espoir de pouvoir lire sur ses traits fatigués la réponse à sa question. Mais pourquoi donc est-ce qu'il s'acharnait à lui faire du mal à ce point ? Elle ne lui avait jamais rien fait.

"Pourquoi ?"

Question basique, on ne peut plus simple et parfaitement comprèhensible même pour quelqu'un d'ivre mort.

"Pourquoi ? Pourquoi tu me fait ça ? J'en ai marre ! Tu es bourré toute la journée, tu m'insultes et tu me tapes dessus ! Pourquoi tu me fait ça hein ? Tu me hais donc à ce point ?"

La jeune fille essayait de ne preter attention aux larmes de Stéphane. Elle mourrait d'envie de le prendre dans ses bras pour le consoler. Elle le consolerait et lui la frapperait, c'était comme ça que ça marchait entre eux.

Les larmes coulaient en abondance sur les joues de l'anglaise. Ca se terminait toujours comme ça: Ils se disputaient, elle partait en courant lui la rattrapait et ils pleuraient dans les bras l'un de l'autre en se confondant en excuses. Mais là ça serait différent, elle se l'était promis. Elle ne sécherait pas ses larmes. Du moins, pas tant qu'il ne répondra pas à ses questions.

Stéphane ne bougea pas, effondré sur le sol, laissant Esther tempêter de questions, sans y prêter vraiment attention, sans prêter attention à rien, retenant seulement ses larmes. Pathétique. Il était pathétique. Ils étaient pathétiques tout deux, à tenter de vivre ensemble alors qu’ils savaient bien cela impossible, à tenter de se quitter quand cela était tout aussi impossible. Ridicule tragédie moderne ...

« Tues-moi. »

Il avait répondu tout simplement à ses questions, trop simplement peut-être, peut-être ne compendrait-elle pas. Ca n’avait pas d’importance après tout ... il fallait juste que tout ca finisse. Que tout ca finisse enfin.

« On ne peux pas continuer. » continua le Démon d’une voix morne où, l’alcool aidant peut-être, résonnait la défaite, ou la mort, déjà. « Il faut que ca finisse ... Il faut qu’on se quitte, tu peux pas vivre avec moi, je sais pas faire autre chose que détruire, et c’est valable pour toi aussi, tu l’as bien vu, alors dégage. Ou alors tues-moi. Ca revient au même. »

« Si ce n’est pas toi qui le fait, c’est moi. » Il regardait toujours dans le vide, pleurant silencieusement. « Tues-moi. Tues-moi ! »

Et il la regarda – il ne pouvait pas se relever à cause de l’alcool – de deux yeux où ne brillait plus rien d’autre que l’abandon, avant de conclure d’une voix éteinte.

« Va-t-en. Dégages de ma vie. Maintenant. »

Il ne s’imaginait pas vivre avec elle, il ne pouvait pas,ce n’était pas possible ... Ce n’était pas Esther qui quittait sa vie, c’était lui qui quittait la sienne.

Esther fixait le mur. Droite comme un "i", raide comme une manche à balai, les bras croisés au niveau de la poitrine.

Elle ne réagit même pas que Stéphane lui demanda de le tuer. Enfin, elle ne réagit pas sur le moment. La jeune fille laissa passer quelques instants. Un silence lourd s'installa entre les deux pensionnaires. Puis, elle se baissa, lentement. Elle se tenait en face de lui et, toujours sans rien dire, elle lui flanqua une baffe qui résonna dans la pièce silencieuse.

"Ne racontes pas n'importe quoi !"

L'Anglaise se tenait accroupie en face de lui, les mains posées sur ses genoux. Et elle l'écoutait patiemment. Il lui disait la même chose à chaque fois qu'ils se disputaient. Mais c'était la première fois qu'il le lui disait en pleurant.

Elle avait furieusement envie de le prendre contre elle pour le rassurer, le consoler. Pour lui dire pour la énième fois qu'il n'était pas un Démon et qu'il n'était pas responsable de ce qu'il lui arrivait, de sa malédiction.

Il faut qu'on se quitte ? C'est ça qu'il venait de lui dire ? Oui, c'était ça. Et cela atteignit Esther plus profondément qu'elle ne l'aurait cru. Elle se reprit rapidement, essayant d'ignorer ses larmes qui avaient reprit de plus belle.

"Qu.. Quoi ? Mais... Mais non ! Pourquoi on se séparerais ? Je veux rester avec toi, moi !"

Et puis le jeune homme en rajouta une couche en lui disant que si elle ne le tuait pas, c'était lui qui s'en chargerait. L'Anglaise le saisit aux épaules et le secoua violemment pour qu'il reprenne un peu ses esprits tout en le regardant dans les yeux.

"Je ne te ferais pas de mal et je t'empecherais de t'en faire. Tu m'as bien comprise ?"

La colère retombait peu à peu, laissant place à une tristesse sourde qui tapait dans ses tempes. Ca faisait mal très mal, trop mal. Il avait raison quelque part: Il fallait que cela s'arrête. Mais elle était convaincue que se séparer était la dernière chose à faire.

"Tu te trompes... Tu n'es pas un Démon, ce n'est pas ta faute ce qui t'arrives. Tu dit que tu es juste bon à détruire mais et nous ? On a construit quelque chose non ? C'est encore un peu bancal, mais ça va s'arranger pas vrai ?"

Esther ne comprenait pas. Pourquoi est-ce qu'il s'acharnait à détruire sa vie ? Il n'était plus tout seul, elle était là maintenant. La jeune fille céda et le prit dans ses bras. Elle se mit à genoux, serrant Stéphane contre elle. Ca allait s'arranger, ça ne pouvait que s'arranger.

Stéphane ne réagit pas à la gifle d'Esther. Soit qu'il ne l'ait pas senti, soit que ça n'avait aucune importance de toutes façons ... et puis c'était normal. C'était normal qu'il se fasse frapper après tout. Après tout ce qu'il avait fait. Après tout il n'était qu'une ordure.

Mais malgré tout, Esther continuait de s'accrocher à lui.
Pourquoi?
Pourquoi? Qu'est-ce qui lui plaisait? Que faisait-elle à tenter de rester à tout prix avec un type tel que lui, alors que c'était clair, ils n'arriveraient à rien? Et elle de continuer à démentir ce qu'il disait, de continuer à le consoler, de continuer à s'accrocher aux lambeaux d'espoirs qui lui restaient, de pleurer dans ses bras. Pourquoi ? ...

"Mais ..." protesta-t-il faiblement, comme s'il était un peu absent de la scène, comme sonné, ou comme ivre. "Regarde ... Même ce que j'ai construit, je le détruis ... Ca ne sert à rien, ca ne servira jamais à rien, on n'avancera plus, il vaudrait mieux que je meure ... Je ne sais faire que ca, tuer. Et me tuer est encore ce qu'il y a de mieux à faire ..."

"Lâche-moi." Encore. "Lâche-moi, laisse-moi partir, c'est mieux, pour tous ..." Ils ne feraient jamais rien de bon ensemble.

Et pourtant, tout en disant cela, Stéphane avait pris la jeune anglaise dans ses bras, la serrant contre lui comme elle le serrait contre elle, comme s'il ne voulait pas partir, comme s'ils voulaient maintenir leurs illusions en vie ...

Esther était convaincue du contraire. Ce qu'ils avaient difficilement construit tout le deux n'était pas détruit. Et la jeune fille ne laisserait personne briser les liens, un peu trop fragiles à son gout quoi que pas mal fort quand même, qui la liait au jeune homme.

"Tu n'as rien détruit du tout. Je ne serais pas là sinon."

Stéphane lui disait qu'il voulait qu'elle le lache, qu'elle le laisse partir, qu'elle le laisse mourir. Pourtant il s'accrochait à elle comme elle s'accrochait à lui. Esther ignorait pourquoi elle tenait autant que cela à lui. Après tout, il n'avait fait que de la giffler et de la faire pleurer. Oui, mais il s'était toujours excusé.

"Non, je ne te lacherais pas. Jamais."

La jeune fille, en dépit de ce que venait de lui dire son ami, ressera son étreinte s'agrippant au tee-shirt humide de Stéphane.

"Et puis... Tu m'as promis de venir en Angleterre avec moi, tu t'en souviens ?"

Esther esquissa un bref sourire sans pour autant se détacher de Stéphane. Elle, elle s'en rappellait très bien. Il lui avait dit qu'il viendrait. Il n'avait pas le droit de la laisser tomber maintenant.

Sans rien dire, il continuait de la serrer dans ses bras, il continuait de s'aggripper à Esther, à la jeune fille qu'il aimait même s'il avait encore du mal à le réaliser, à la seule chose réellement positive de sa vie. Comme s'il ne voulait plus vivre en Démon, comme s'il ne voulait plus détruire le peu qu'il avait pu construire.

Et sans rien dire, il pleura. Deux larmes, de plus, de moins, aucune importance - il changeait. Il changeait. Enfin.

"Oui ... Je t'accompagnerais en Angleterre" murmura-t-il dans un souffle. "Je ne veux pas te quitter ... Esther ..."

Et il restait enlacé dans les bras de la jeune anglaise, sans rien dire. Encore une fois, elle l'avait sauvé. Esther était bien la seule personne qui comptait pour lui ...

Ils restèrent longtemps l'un dans les bras de l'autre. Juste à profiter d'un moment de liberté inespéré, juste à profiter d'un petit miracle. La rédemption d'un homme. Tout n'était pas fini, mais Stéphane voulait maintenant s'en sortir pour elle, Stéphane voulait maintenant s'en sortir avec elle. Puisque c'était possible.

"Dis ..." fit-il, un peu rieur, toujours un peu ivre. "faudrait peut-être que j'aille me laver ... Et toi aussi ... regarde-nous, on est tout sales à cause de moi!"

Il souriait maintenant.