Pour avoir semé un surveillant

[Esther uniquement s'il vous plaît, c'est la suite du post dans le parc.]

Après leur "permission" qui leur avait permis d'aller dans le grand (et laid) parc hors du pensionnat, Stéphane et Esther s'étaient fait collés pour avoir semé le pion censé les surveiller - lequel allait peut-être aussi passer un mauvais quart d'heure pour avoir laissé filer deux délinquants qui auraient très bien pu s'enfuir.

Il se retrouvaient donc dans cette salle abandonnée, bizarrement sans surveillant. Peut-être, ou probablement, allait-il arriver d'ici peu de temps.
Cela ne dérangeait d'ailleurs pas Stéphane, qui était gêné d'être avec la jeune anglaise. Il l'avait pris dans ses bras et c'était déjà plus qu'il ne pouvait se pardonner; il n'oubliait pas sa tare et ne voulait pas l'entraîner avec lui dans une existence maudite.

Stéphane s'était assis, comme à son habitude, à une place près de la fenêtre. Profitant du temps donné par l'absence d'un pion, il avait pris ses aises et se balancait sur sa chaise, les pieds sur la table, regardant le ciel à travers la vitre - et évitant le regard d'Esther, évitant de regarder Esther, gêné. Stéphane ne savait pas comment elle réagirait envers son comportement au parc, si elle réagirait, et faisait probablement sans le savoir beaucoup d'histoires pour peu de choses. C'était d'ailleurs inhabituel de sa part, ayant tendance à vivre au jour le jour, ne se souciant pas des problèmes qu'il pouvait avoir ou qu'il avait pu créer, et sachant bien que tout son monde pouvait s'écrouler d'un jour à l'autre - il suffisait d'une crise en public...

Esther avait suivit le pion sans vraiment broncher. Même si cela ne la réjouissait pas de quitter le parc. Il était certes affreux mais elle ne s'était pas sentie aussi libre depuis que son père l'avait envoyée à Rose Red. Et il avait fallu que ce stupide pion débarque.

Toujours est-il que maintenant, Esther et Stéphane étaient prisonniers de cette foutue salle de permanence. Et le pion était repartit... L'anglaise songea un instant à prendre la poudre d'escampette mais il ne fallait peut etre pas qu'elle aggrave son cas. Elle soupira et se laissa tomber sur la chaise voisine à celle où était assis Stéphane.

Un Stéphane qui regardait le ciel, un peu partout autour de lui et qui prenait bien soin d'éviter le regard de l'anglaise. D'ailleurs, il ne lui avait rien dit durant les quelques minutes du voyage qui les ramenait à Rose Red.
Esther attendit alors que le jeune homme tourna legerement la tête vers elle, il ne la regardait toujours pas, et se planta en plein dans son champs de vision.

"Qu'est-ce que tu as ? Tu n'as rien dit durant tout le voyage...J'ai dit quelque chose qui fallait pas ?"

Maintenant qu'Esther avait enfin reussi à harponner le regard de Stéphane, elle faisait bien attention à ne pas le perdre. Elle lui fit un mince sourire, inquitée par le fait qu'elle aurait pu dire ou faire quelque chose qu'il ne fallait pas.

Stéphane, malgré tout ce qu'il avait fait, n'avait pu échapper à ses questions. Il laissa sa chaise retomber bruyamment en position normale en enlevant ses pieds de la table
Il répondit en baissant les yeux et en rougissant.

"Non, non t'as rien fait..." répondit-il, gêné; "et puis je te l'aurais dit..."

C'est juste qu'il s'en voulait à lui-même, pas à elle. Qu'elle ait envie qu'il oublie sa malédiction, même pour un temps, ne voulait pas dire que sa malédiction n'existait plus et qu'il devait agir comme tel. Or il l'avait fait. Et il s'en voulait depuis...

Il posa ses bras sur sa table et enfouit sa tête dedans. Il ne voulait pas qu'Esther le voie. Au moins pas ainsi.
Il tentait de ne pas se mettre à pleurer, il tentait vainement de ne pas pleurer de dégout envers lui-même, de rage et d'impuissance, et de révolte vouée à l'échec envers ce qu'il était. Envers sa tare, sa malédiction, qui le vouait à une vie marginale et misérable - ou à la mort.
Et il aurait honte de pleurer, il aurait honte de ne pouvoir accepter stoïquement cette réalité, il aurait honte de sa faiblesse, de montrer sa faiblesse, ce qu'il ne pouvait faire...

Tentant de se concentrer sur autre chose, il dit à Esther, d'une voix péniblement maîtrisée:

"Pardon tu sais... c'est à moi d'mexcuser... parce que j'aurais pas dû te prendre dans mes bras..."

Et puis, elle? Esther n'avait surement pas envie d'être avec lui; il était peut-être son meilleur allié ici, mais au-dehors? Et puis, il n'était qu'un allié...

Et encore une fois, Stéphane trouva un moyen d'échapper au regard de la jeune anglaise. Esther se laissa tomber contre le dossier de sa chaise et croisa les bras tout en l'écoutant parler. Son regard tomba sur le jeune homme et elle s'accouda à la table. Son regard tomba sur son camarade.

"Je t'ai déjà dit de ne pas t'excuser pour ça..."

La jeune fille marqua un temps d'arret et baissa la tête. Ils avaient l'air de des jeunes pas très dégourdi ou alors qui se faisaient la tête. Au bout d'un moment qui lui avait semblé une éternité, Esther releva les yeux et continua sa phrase.

"Et puis, tu sais...Ca ne..."

Au même moment, un épais livre de maths s'abattit juste devant son nez et elle eut un violent mouvement de recul.

"Maintenant taisez vous et bosser ! Et toi le garçon, redresse toi !"

Tss, cet abruti de pion ne connaissait même pas leurs prénoms. Quel imbécile ! Esther attendit qu'il leur tourne le dos et elle poussa le livre pour pouvoir s'avachir sur la table. Alors le pion voulait qu'ils se redressent ? Très bien, elle s'appuierais sur la table. Il voulait qu'ils bossent ? Alors elle ne ferait rien. Il avait eu l'audace de les coller alors elle lui en ferait baver. Et tant pis si elle allait voir la directrice, Esther s'en fichait pas mal. Elle adressa un sourire las à Stéphane, regrettant de ne pas avoir pu terminer sa phrase.

Stéphane ne bougea pas malgré l'injonction du surveillant. Ce qui l'agaca, et le poussa a réiterer son ordre:

"Alors, tu te bouges? Debout! C'est devoir de maths pour toi!"

Le démon lui jeta un regard méprisant, poussa son livre par terre et l'insulta d'un geste à son intention. Il ne daigna même pas lui parler.
Personne, personne ne lui dicterais ses actes. Il vivait maudit, soit, mais il vivait libre, où qu'il soit. C'était la dernière chose qui lui restait, et on ne l'enleverait que par la force - que par la mort.
A vrai dire, le pauvre pion avait de bonnes chances de se prendre en pleine face toute la haine, la colère, la rage et le dégoût que Stéphane s'infligeait à lui-même.

Stéphane remit ses pieds sur la table, se balanca sur sa chaise, dans une attitude de défi, puis se remit à regarder les cieux et demanda à Esther d'un ton qui montrait clairement qu'il avait déjà oublié les ordres du surveillant:

"Tu disais?"

A vrai dire, tout sonnait faux, même sa question. Il se foutait pas mal du pion, et ne faisait que semblant d'être aussi calme. Quand à son attitude ouvertement provocatrice, elle était inhabituelle chez lui, qui avait tendance à se faire oublier.

Esther avait bien compris que l'attitude de Stéphane était un peu forcée, du moins elle ne le pensait pas si provocateur. Un petit sourire moqueur naquit sur son visage et elle tourna la tête vers son camarade.

"Oui...Donc je disais que cela ne me derange pas que tu..."

Le pion, qui avait royalement ignoré l'insulte gestuelle de Stéphane ne laissa pas passer l'attitude je m'en foutiste des deux pensionnaires. Il s'approcha d'eux et prit la parole, coupant l'anglaise au beau milieu de sa phrase.

"Ne me regarde pas comme ça, avorton ! Et tu va me faire le plaisir d'enlever tes pieds de cette table !

Passablement enervée du fait que le surveillant prenne un malin plaisir à lui couper la parole, Esther donna un violent coup de poing sur la table pour attirer l'attention de l'homme sur elle. Surpris, le pion la regarda:

"Qu'est-ce qui t'arrives à toi ? T'es folle ?"

"Non, j'suis pas folle...J'en ai juste marre que tu me coupes sans arrêt la parole..."

Le pion haussa les sourcils.

"Tu ne me tutoies pas, ok ? Et toi le rigolo de service, tu m'enleves les pieds de cette table !"

Esther jubilait. Voir un pion malmané ainsi par deux élèves la faisait toujours beaucoup rire.

"Pas de problèmes, monsieur" jubila Stéphane, le sourire mauvais et la remarque malicieuse.

Il fit basculer la table sur le pion en la poussant du pied. Qui tomba sous le choc, surpris. Le démon se leva alors, cracha sur la face du pion, et annonca d'un ton froid et cruellement méprisant:

"J'reste pas ici, j'me barre."

Ce qu'il éxecuta sur le champ; il marcha en direction vers la porte, conscient d'aggraver sa situation, mais aussi conscient qu'il fuyait Esther. Il s'arrêta cependant lorsque le surveillant l'interpella, s'étant péniblement relevé et s'essuyant le visage:

"Tu penses t'en sortir comme ca? Reviens ici. Et fait pas le malin! Ton..." là, il s'arrêta, cherchant un mot pour exprimer sa fureur, puis abandonna: "insolence ne restera pas impunie!"

Conscient qu'il avait déjà gagné une visite chez le sous-derche, un anéantissement total de la plupart des choses un tant soit peu intérressantes pour des semaines à venir, et qu'il n'avait vraiment plus grand-chose à perdre, Stéphane se retourna lentement, et répondit calemement, contenant sa rage et son envie de se battre:

"Bin alors, viens me chercher si tu l'oses. Pauvre loque." Il savait que le pion n'engagerait pas un combat. Et il en profitait.

Alors là, la situation échappait completement à Esther. Elle se releva et son regard oscilla entre le pion allongé sous la table et Stéphane qui s'éloignait. Elle soupira et resta plantée au milieu de la pièce. La jeune anglaise ne pensait que son camarade puisse être aussi violent. Comme quoi, elle ne le connaissait pas si bien qu'elle le pretendait.

Le pion lui ordonna de rester et contre toute attente, Stéphane se retourna. L'homme repoussa difficilement la table et se releva pour ensuite avancer vers le pensionnaire.
Sentant que la situation ne tournait pas vraiment à leur avantage, Esther se positionna entre Stéphane et leur geôlier.

"Heuu...Tu risques d'avoir des problèmes si tu nous tappes dessus...Parce que même si tu fait partie de l'administration, t'as pas le droit de lever la main sur nous..."

Le pion la fixa et lacha un profond soupir.

"De quoi tu te mêles la gamine ? Ca ne te regarde pas et je t'ai déjà dit de ne pas me tutoyer..."

Sur ces mots, le pion tenta de passer à côté d'Esther qui fit un leger mouvement pour l'empecher de passer.

"Alors toi tu as le droit de nous insulter et nous on devrait te respecter ? C'est toi qui doit avoir un problème, pas nous..."

Le surveillant croisa les bras et fixa la jeune anglaise d'un air hautain.

"Tu insinuerais que je suis fou ?"

Esther lui fit un grand sourire moqueur.

"Non seulement je l'insinue mais en plus je le maintiens...Je rajouterais même que tu es assez susceptible, un peu abruti sur les bords et aussi lâche pour t'attaquer à de simples pensio..."

Bam ! La main du surveillant s'abattit violement sur la joue pâle d'Esther qui chancela sur le choc. Elle porta les doigts à ses lèvres, une goutte de sang perlait sur la comissure. Elle leva les yeux vers le pion, incrédule et incapable de réagir. La jeune anglaise ne s'attendait pas vraiment à recevoir une baffe.

Le pion, rouge de colère la poussa sur le côté et fixa Stéphane, un sourire dément et satisfait au coin des lèvres.

"Maintenant, tu vas me suivre bien sagement chez le sous-directeur..."

Un air fou éclairait le regard du pion. Esther et Stéphane avaient vraiment dû le pousser à bout pour qu'il soit dans un tel état d'énervement.

Déjà passablement énervé, et rendu ivre de colère par le geste du surveillant envers Esther, Stéphane se fendit d'un grand sourire vicieux, puis, sans répondre, passa sur le côté et attrappa de ses deux mains une chaise qu'il abattit sur la tempe du surveillant de toutes ses forces.

Le pion s'effondra, sonné, et le Démon en profita pour le réduire au silence pour un bon moment, frappant de toutes ses forces, sans viser, détruisant lentement la chaise, frappant juste pour la joie enivrante et malsaine de frapper autrui.
Il retrouvait ses anciennes habitudes, redevennait le guerrier craint de jadis, noyant ses problèmes et tout son dégout de soi-même dans une course sordide de violence éffrenée. Il redevenait le Démon qui tabassait les mioches, abattait ceux qu'on lui désignait pour une poignée de billets, et dépensait tout pour une bouteille, avant de recommencer le lendemain.

Puis il se calma, lentement. Il n'avait pas vraiment mis en danger la vie du surveillant, qui serait néanmoins à l'hôpital avec plusieurs fractures pour un bon moment... La chaise était en lambeaux, les mains de Stéphane aussi, et il se mit à vomir.

Il tomba à genoux, les mains sur la tête, tentant de chasser la crise, sans succès. Puis tomba à la renverse, bavant, les yeux fous, gémissant faiblement; ses gestes incontrôlés le faisaient brasser l'air et griffer le sol. Comme après chaque combat, après chacun de ses débordements de violence, Stéphane était en proie à une crise d'épilepsie.



Quelques minutes après, il reprit ses esprits, et se releva lentement. Sa première pensée fut pour Esther, qu'il regarda un peu anxieux avant de voir, soulagé, qu'elle allait bien.

"Ca va?" demanda-t-il quand même, un peu pour la forme, un peu pour montrer qu'il s'était inquiété.

N'attendant pas la réponse, il continua: "Et merde, qu'est-ce que j'ai fait... On est bons pour je ne sais quelles punitions, mais ca sera pas drole. On fait quoi?" Lui voulait partir surtout, peu importait l'endroit - après tout, n'ayant souvent rien à faire ici, il s'était amusé à créer des caches d'affaires dans les endrois les moins fréquentés et les plus farfelus du bâtiment, et n'avait pas à passer dans sa chambre pour changer ses vêtements souillés.

Une idée lui vint: "On s'enfuit sur le toit?"

Esther tournait le dos à la scène. Elle était bien trop choquée par la baffe qu'elle venait de se prendre pour se retourner. De toute façon, elle n'avait aucune envie de voir ce que Stéphane était en train de faire à cet imbécile de pion.

Un violent bruit de bois qui part en morceaux la fit -enfin- se retourner. Et elle baissa aussitot les yeux devant le "spectacle" qui s'offrait à elle: Le pion inconscient sur le sol et Stéphane en pleine crise d'épilepsie, les mains en sang à cause des débris de la chaise. La jeune anglaise ne put s'empecher de se sentir coupable. Si elle n'avait pas eu cette stupide idée de s'enfuir et si elle n'aurait pas provoqué le pion, rien de tout cela ne serait arrivé. Esther réprima difficilement ses larmes et attendit patiemment que la crise du jeune homme passe. Crises qui effrayaient toujours l'anglaise.

Au bout d'un long moment, il se releva enfin et lui demandait comment elle allaiit. Elle leva ses yeux humides vers lui et ne répondit pas. Elle réagi seulement lorsque celui ci lui demanda d'aller sur le toit. Esther reprit vaguement ses esprits.

"Heu oui bien...Allons y."

Elle s'avanca vers Stéphane et lui prit le poignet. Ils marchaient tranquillement dans le couloir quand des bruits de pas se firent entendre. Sans demander son reste, Esther serra ses doits autour de la main de Stéphane et se mit à courir en direction du toit.


Suite ici